Les soumissions contenant des prix disproportionnés par rapport à ceux du marché : quelle conduite à adopter par le donneur d’ouvrage dans l’analyse de leur conformité?

15 mars 2023
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15 mars 2023

Dans le cadre d’un appel d’offres, la discrétion de déterminer les montants à inscrire au bordereau de prix appartient avant tout au soumissionnaire. Cette discrétion a toutefois ses limites. Elle ne permet pas au soumissionnaire d’y inscrire des prix disproportionnés ou nettement déséquilibrés par rapport aux coûts réels du marché, auquel cas il s’expose à voir sa soumission rejetée conformément aux clauses contractuelles généralement prévues en matière de soumissions déséquilibrées. C’est au donneur d’ouvrage qu’incombe la responsabilité de s’assurer que les soumissions qu’il accepte respectent le principe de proportionnalité des prix. Dans les dernières années, deux décisions de la Cour d’appel sur le sujet sont venues confirmer qu’en matière de soumissions déséquilibrées, le donneur d’ouvrage ne dispose d’aucune discrétion et que les prix disproportionnés par rapport à ceux du marché doivent être qualifiés d’irrégularité majeure.

La Cour d’appel s’est prononcée à ce propos dans les affaires impliquant la Municipalité de Val‑Morin1 (ci-après Val-Morin) et la Municipalité de Piedmont2 (ci-après Piedmond).

Dans l’affaire Val-Morin rendue en 2019, la municipalité constate que l’un des soumissionnaires a inscrit certains prix unitaires à 0,01 $, contrevenant ainsi à l’exigence d’inscrire des prix unitaires proportionnés dans les soumissions. Val-Morin décide donc de rejeter la soumission sur cette prémisse. La Cour d’appel confirme que la conduite adoptée par la municipalité est conforme. Elle fait droit à son argument selon lequel des prix proportionnés lui permettent d’avoir une base de comparaison entre les soumissions et d’éviter des coûts trop élevés lors de dépassements dans les quantités estimées. Ainsi, l’inclusion de prix unitaires proportionnés constitue une condition essentielle de cet appel d’offres pour des travaux de voirie et Val-Morin était justifiée d’en exiger le respect.

Plus récemment, dans l’affaire Piedmont rendue en 2020, le plus bas soumissionnaire, Uniroc Construction inc., fixe le prix unitaire du roc à 1,00 $ le mètre cube et déplace les coûts associés au dynamitage et à l’excavation dans les prix unitaires liés aux conduites d’aqueduc. Cette façon de faire lui permet de s’assurer de combler les coûts fixes dans l’éventualité d’une baisse significative de la quantité de roc. Piedmont déclare la soumission non conforme au motif que le montant de 1,00 $ le mètre cube ne correspond pas du tout au prix réel du marché. La Cour d’appel confirme que la municipalité a pris la bonne décision et qu’elle n’avait aucune discrétion pour agir autrement. À cet égard, elle mentionne :

« La proportionnalité des prix unitaires constitue une exigence essentielle qui permet la comparaison entre les soumissions, affecte le prix et l’égalité entre les soumissionnaires. En ce sens, une contravention à cette règle constitue une irrégularité majeure ne permettant aucune discrétion au maître d’œuvre. En conséquence, Piedmont n’avait pas d’autre choix que d’écarter la soumission d’Uniroc. » 

À la lumière de ces deux décisions, les donneurs d’ouvrage doivent être prudents lorsqu’ils procèdent à l’analyse de la conformité des soumissions. En présence de prix déséquilibrés, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à ceux du marché, ils doivent considérer la ligne de conduite dictée par la Cour d’appel à l’effet qu’une telle irrégularité doit être qualifiée de majeure avec la conséquence qu’on peut considérer comme peine capitale pour une soumission son rejet. À défaut d’agir en conformité avec ces enseignements, un donneur d’ouvrage s’expose à un recours en dommages de la part du soumissionnaire à qui le contrat aurait dû être adjugé, auquel cas les économies liées aux petits prix de la soumission déséquilibrée pourraient se transformer en dépenses que le donneur d’ouvrage verra s’envoler en fumée.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec le Service d’assistance juridique qui peut vous conseiller et vous accompagner dans l’analyse de vos soumissions.

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[1] Municipalité de Val-Morin c. Entreprise TGC inc., 2019 QCCA 405 (CanLII)
[2] Municipalité de Piedmont c. Uniroc Construction inc., 2020 QCCA 329 (CanLII)

ÉCRIT PAR :

Me Olivier Trudel

avocat et coordonnateur – Assistance juridique et Prévention des sinistres de la Fédération québécoise des municipalités