Accorder un PPCMOI, mais pas à n’importe quelle condition

11 août 2021
Fédération québécoise des municipalités

11 août 2021

Les pouvoirs discrétionnaires accordés aux municipalités sont, comme leur nom l’indique, discrétionnaires. Qu’il s’agisse de la décision d’accorder ou non une dérogation mineure, un usage conditionnel ou un projet particulier de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble (ci-après : « PPCMOI »), le conseil d’une municipalité dispose d’une large discrétion.

Les tribunaux vont rarement invalider de telles décisions à moins d’une preuve de mauvaise foi, de fraude, d’abus de pouvoir de la part du conseil municipal ou lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect ou de manière déraisonnable[1]. Cependant, cela ne donne pas carte blanche aux conseils municipaux pour autant, notamment en ce qui concerne les conditions imposées lorsqu’ils accordent un PPCMOI.

Dans la récente décision Sirois c. Ville de Granby[2], la Cour supérieure devait se pencher sur la situation suivante. Un entrepreneur exerçait un usage dérogatoire d’atelier de soudure dans une zone résidentielle depuis plusieurs années. Avisé de l’illégalité de son usage, l’entrepreneur fait valoir à la Ville de Granby (ci-après : « Ville ») qu’il ne lui restait que quelques années avant sa retraite et qu’il souhaitait pouvoir continuer à exercer son métier au même endroit pour cette période. Il dépose donc une demande de PPCMOI auprès de la Ville.

Lors de la séance du Comité consultatif d’urbanisme, les membres du comité l’ont questionné à savoir si une période de cinq ans lui suffisait d’ici sa retraite, ce à quoi l’entrepreneur a répondu par l’affirmative. Quelque temps plus tard, le conseil de la Ville accorde la demande de PPCMOI, mais y inclut certaines conditions, dont un terme de cinq ans au droit d’exercer l’usage dérogatoire d’atelier de soudure.

Après avoir réalisé qu’il devrait exécuter des travaux d’une valeur de 85 000$ pour se conformer aux autres conditions du PPCMOI, l’entrepreneur intente un recours contre la Ville afin de faire déclarer invalide cette condition, affirmant qu’il y avait eu un malentendu.

À la suite de l’analyse de la doctrine relative aux conditions imposées en matière de réglementation d’urbanisme discrétionnaire, le tribunal en arrive à la conclusion que la condition imposée par la Ville est illégale.

L’article 145.38 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[3](ci-après : « LAU ») habilite le conseil d’une municipalité munie d’un règlement sur les PPCMOI à accorder ou refuser un PPCMOI. Le 2e alinéa de cette disposition spécifie le type de condition qu’il est possible d’imposer :

« 145.38. Le conseil doit, après consultation du comité consultatif d’urbanisme, accorder ou refuser la demande d’autorisation d’un projet particulier qui lui est présentée conformément au règlement.

La résolution par laquelle le conseil accorde la demande prévoit toute condition, eu égard aux compétences de la municipalité, qui doit être remplie relativement à la réalisation du projet.

[…] »

(Nous soulignons)

Pour le tribunal, les termes « relativement à la réalisation du projet » sont lourds de sens. En effet, la résolution adoptée par la Ville n’a pas imposé de restriction temporelle à la réalisation de certains travaux, mais bien à l’usage lui-même. La Cour affirme que « [c]ette expression n’est pas ambiguë » et « qu’un délai d’expiration d’un PPCMOI n’est pas une condition relative à la réalisation du projet »[4].

La Ville a tenté en vain de faire valoir qu’il ne s’agissait pas réellement d’une condition au sens où l’entend cette disposition, mais plutôt d’une modalité du PPCMOI. La Cour a rejeté cet argument en affirmant qu’« [u]n terme établissant l’extinction d’un droit n’est pas une simple modalité d’exercice de ce dernier »[5].

Pour ces motifs, la Cour supérieure juge la décision de la Ville comme étant déraisonnable, annule la résolution octroyant le PPCMOI et renvoie le dossier au conseil afin que ce dernier prenne une nouvelle décision.

La Cour conclut également qu’une condition imposée à un PPCMOI par résolution constitue un tout indissociable de cette dernière et qu’il n’est donc pas possible d’annuler une condition sans annuler la résolution en entier.

Le 15 juillet dernier, la Ville a déposé une déclaration d’appel dans cette affaire. Il sera intéressant de suivre le dossier et de voir comment la Cour d’appel interprétera l’article 145.38 LAU, mais d’ici là cette décision de la Cour supérieure envoie un message fort aux administrations municipales. Ce n’est pas parce qu’un pouvoir discrétionnaire existe que tout est permis; il importe de toujours se rapporter à la disposition législative habilitante afin de s’assurer que les conditions imposées sont bien celles autorisées par le législateur.


[1] Papin-Shein c. Cytrynbaum, 2008 QCCA 2253

[2] Sirois c. Ville de Granby, 2021 QCCS 2362

[3] RLRQ c. A-19.1.

[4] Précitée note 2, par. 57

[5] Idem, par. 60

ÉCRIT PAR :

Mes Maryse Catellier Boulianne et Matthieu Tourangeau

Avocats chez Morency Société d’avocats